Stéréotypes de genre et inégalités professionnelles entre femmes et hommes
- Business Science Institute
- 14 juin
- 4 min de lecture

Clotilde Coron*
Professeure des Universités en Sciences de gestion
Vice-Présidente Égalité, Diversité, Inclusion de l'Université Paris-Saclay
Université Paris-Saclay
*Membre du corps professoral du DBA Paris-Saclay / Business Science Institute
Les inégalités professionnelles entre femmes et hommes restent à un niveau élevé : inégalités d’accès à l’emploi, de salaire, de carrière, manque de mixité des métiers… Dans tous les pays d’Europe, ces inégalités persistent et diminuent très lentement[1]. Pourtant, l’arsenal législatif n’a jamais été fourni, avec de plus en plus d’obligations légales pour les entreprises dans de nombreux pays, venant entre autres d’initiatives de l’Union européenne[2]. Une des explications à ce niveau élevé des inégalités professionnelles réside dans la persistance des stéréotypes de genre.

Les stéréotypes de genre sont des croyances et représentations sur les comportements, désirs et souhaits des femmes et des hommes, avec l’idée qu’il existe des différences importantes et intrinsèques entre femmes et hommes[3]. Ils sont en partie conscients : par exemple, près de la moitié des Européens pensent que « Avoir un travail, c’est bien, mais ce que la plupart des femmes veulent vraiment, c’est un foyer et des enfants », ou encore que « En général, quand la femme a un emploi à plein temps, la vie de famille en souffre »[4]. Cependant, des personnes qui ne déclarent pas de stéréotypes conscients peuvent avoir des stéréotypes dont elles n’ont pas conscience, qualifiés de stéréotypes inconscients, ou encore de biais inconscients[5], qui se traduisent par des associations inconscientes entre le genre d’une personne et ses caractéristiques (par exemple, défauts et qualités) supposées.
La littérature sur les stéréotypes de genre provient en grande partie de la psychologie, alors que la littérature sur les inégalités professionnelles entre femmes et hommes s’inscrit plutôt en sciences de gestion et en sociologie. Pourtant, les liens entre stéréotypes de genre et inégalités professionnelles femmes-hommes sont nombreux.
Au niveau national, des politiques publiques empreintes de stéréotypes de genre contribuent pour une large part aux inégalités femmes-hommes. Pour ne donner qu’un exemple, dans la grande majorité des pays européens, la durée du congé de maternité prévue dans la loi est plus longue que celle du congé de paternité, ce qui peut être associé aux stéréotypes sur les rôles respectifs des mères et des pères[6]. Or, cette inégale durée des congés liés à la parentalité contribue aux inégalités de partage des tâches domestiques liées aux enfants, et finalement au temps que femmes et hommes peuvent consacrer à leur travail et leur carrière.
Au niveau organisationnel, de nombreuses organisations de travail fonctionnent avec des modes d’évaluation qui peuvent être biaisés par des stéréotypes de genre. Le même comportement peut donc ne pas être évalué de la même façon selon le genre de l’individu évalué. Par exemple, des études ont montré qu’un comportement correspondant à ce qui est attendu d’un « leader » était évalué moins favorablement quand c’était une femme qui l’adoptait[7]. En Europe, les femmes en situation de management ne sont par ailleurs pas perçues de la même façon que leurs pairs masculins, selon le niveau de stéréotypes de chaque pays[8].
Enfin, au niveau individuel, les stéréotypes de genre influent sur les comportements et prises de décision de chaque individu, y compris concernant sa carrière et son travail. Les femmes ont ainsi tendance à s’autocensurer dans leur négociation de carrière (relative au salaire et à l’accès aux responsabilités notamment), ce qui peut s’expliquer en partie par la persistance de stéréotypes de genre cantonnant les femmes à la sphère domestique et les hommes à la sphère professionnelle.
Finalement, lutter contre les stéréotypes de genre semble une nécessité pour pouvoir diminuer les inégalités professionnelles. Ces stéréotypes s’enracinent et se diffusent dès le plus jeune âge, via les jouets et livres pour enfants, mais aussi plus largement l’éducation (parents, école, pairs). Cela suppose donc un travail conséquent et sans doute sur le long terme auprès de différentes parties prenantes, et donc des politiques publiques engagées et volontaristes sur le sujet.
[1] Voir notamment le site web : https://eige.europa.eu/
[2] Chicha, M.-T. (2006). A comparative analysis of promoting pay equity : Models and impacts. BIT
Milner, S. (2019). Gender pay gap reporting regulations : Advancing gender equality policy in tough economic times. British Politics, 14(2), 121‑140. https://doi.org/10.1057/s41293-018-00101-4
[3] Diekman, A. B., & Eagly, A. H. (2000). Stereotypes as Dynamic Constructs : Women and Men of the Past, Present, and Future. Personality and Social Psychology Bulletin, 26(10), 1171‑1188. https://doi.org/10.1177/0146167200262001
[4] Coron, C. (2023). Stéréotypes de genre et inégalités professionnelles entre femmes et hommes : Quelles responsabilités pour les organisations? Éditions EMS, management & société.
[5] Madsen, S. R., & Andrade, M. S. (2018). Unconscious Gender Bias : Implications for Women’s Leadership Development. Journal of Leadership Studies, 12(1), 62‑67. https://doi.org/10.1002/jls.21566
[6] Perrier, G., & Engeli, I. (2015). Chapitre 14 / Pourquoi les politiques publiques ont toutes quelque chose en elles de très genré. In Une French touch dans l’analyse des politiques publiques ? (p. 349‑376). Presses de Sciences Po. https://doi.org/10.3917/scpo.bouss.2015.01.0349
[7] Eagly, A. H., & Karau, S. J. (2002). Role congruity theory of prejudice toward female leaders. Psychological Review, 109(3), 573‑598. https://doi.org/10.1037/0033-295X.109.3.573
[8] Coron, C. (2024). Questioning ‘Feminine Managerial Behavior’ – A European Study Considering Gender Ideology. M@n@gement. https://doi.org/10.37725/mgmt.2024.8864