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Faire face à un choc de carrière : repenser ses ancres professionnelles

Dernière mise à jour : 11 sept.

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Pauline de Becdelièvre*

Professeure des Universités

IUT de Sceaux, Université Paris-Saclay, RITM


*Membre du corps professoral de l' EDBA Paris-Saclay / Business Science Institute



Dans le cours d’une trajectoire professionnelle, certains événements viennent rompre l’apparente continuité du parcours. Le choc de carrière constitue l’un de ces moments de rupture significative, souvent inattendue, qui oblige l’individu à interroger le sens qu’il attribue à son engagement professionnel. Cette déstabilisation peut être provoquée par une situation personnelle (maladie, deuil, séparation) ou par un événement organisationnel (licenciement, changement de hiérarchie, restructuration).


Le choc de carrière : une remise en question du sens


Ce type d’événement agit comme un révélateur : il confronte l’individu à ses représentations implicites du travail et à ses motivations profondes. Il ne s’agit pas uniquement d’une transition fonctionnelle ou statutaire, mais d’un moment où le rapport au travail est mis à distance, questionné, parfois redéfini.


Les ancres de carrière : repères identitaires et moteurs d’engagement


Pour comprendre les mécanismes à l’œuvre dans ces situations, le concept d’ancres de carrière, proposé par Schein en 1978, fournit une grille de lecture particulièrement utile. Une ancre de carrière désigne un ensemble cohérent de valeurs, de compétences perçues et de motivations qui orientent les choix professionnels. Elle constitue, en quelque sorte, un noyau identitaire structurant les décisions de carrière au fil du temps.


La littérature distingue huit grandes formes d’ancrage : expertise technique, compétence managériale, autonomie, sécurité/stabilité, sens du service, goût du défi, équilibre entre vie professionnelle et vie privée, et orientation entrepreneuriale. Ces ancrages ne sont pas toujours stabilisés au début de la vie professionnelle. Ils tendent à se préciser, se hiérarchiser ou se combiner autour de la trentaine. De nombreux travaux soulignent par ailleurs la coexistence fréquente d’une ancre principale et d’une ou plusieurs ancres secondaires, en interaction dynamique.


Faire face au choc : recentrage ou redéploiement


Dans une recherche menée avec Sophie Ennekam (Business School) et  François Grima (Université Paris-Est Créteil) publiée dans la Revue française de gestion, nous avons analysé les effets des chocs de carrière sur les ancres d’une population de cadres seniors. Deux grandes dynamiques se dégagent de notre enquête qualitative, fondée sur l’analyse de trente et un entretiens.


La première consiste en un recentrage sur l’ancre principale. Dans ce cas, le choc agit comme une invitation à revenir à ce qui, dans l’histoire professionnelle de l’individu, constitue le socle de son engagement. Ce retour s’accompagne d’une mobilisation relativement passive du capital social : les compétences sont déjà là, les réseaux disponibles, les repères solides.


La seconde dynamique correspond à un redéploiement vers une ancre secondaire, jusque-là marginale. Le choc opère ici comme un point de bascule. L’individu s’autorise à envisager une réorientation partielle ou totale, impliquant un travail actif sur les compétences, une requalification éventuelle, et une mobilisation plus soutenue de son réseau. Ce mouvement de reconfiguration engage souvent une réinterprétation de la trajectoire passée.


Trajectoires, organisations et possibilités d’ajustement


L’adoption de l’une ou l’autre de ces stratégies ne relève ni du hasard, ni de dispositions individuelles isolées. Elle est fortement influencée par la structuration antérieure du parcours professionnel. Une carrière relativement cohérente autour d’une ancre stabilisée favorisera un recentrage. À l’inverse, des parcours marqués par des tensions entre plusieurs ancrages ou par une alternance de rôles peuvent ouvrir la voie à des recompositions plus profondes.


L’environnement organisationnel joue également un rôle déterminant. Selon que l’entreprise soutient ou fragilise l’individu dans ces périodes de transition, elle peut contribuer au renforcement des repères ou au contraire accélérer le besoin de redéfinition. Le degré d’autonomie perçu, les possibilités de développement, la reconnaissance du travail accompli sont autant de variables qui modulent la réponse au choc.


Vers une conception processuelle de l’ancrage professionnel


L’un des apports majeurs de cette recherche est de rappeler que les ancres de carrière ne sont ni fixes, ni figées. Elles peuvent se renforcer, se déplacer, entrer en tension ou se recombiner. Le choc de carrière met à nu cette plasticité : il révèle les incertitudes, mais aussi les ressources mobilisables pour reconstruire une dynamique professionnelle.


Dans un monde du travail marqué par l’accélération des transitions et la diversité des formes d’engagement, la capacité à reconnaître ses propres ancrages, à les revisiter ou à en faire évoluer l’agencement constitue une compétence essentielle. Penser la carrière comme un processus de positionnement identitaire dans le temps, et non comme une simple addition de fonctions, invite à une approche plus réflexive, plus ouverte et sans doute plus réaliste des parcours professionnels.



Source :


De Becdelièvre, P., Hennekam, S. et Grima, F. (2021). Comment faire face à un choc de carrière en étant senior Le cas des managers de transition. Revue française de gestion, 296(3), 11-26. https://doi.org/10.3166/rfg.2021.00529.



Voir l'interview IQSOG avec Jean-Philippe Denis :











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