L’impact de l’investissement socialement responsable sur les performances environnementales : leurre ou réalité ?
- Business Science Institute

- il y a 15 heures
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Leïla Kamara, Dr. DBA
Chercheur associé au Business Science Institute
Prix DBA impact managérial, 2024
Prix de la meilleure thèse EDBA ATLAS-AFMI, 2025
Fondatrice de Kamara Advisory,
la S.I.S. du Grand-Duché de Luxembourg dédiée à la promotion de l’investissement durable
A l’heure où la COP30 se réunit à Belém au Brésil, en ce mois de novembre, nous serions tentés de nous interroger sur la question qui taraude tout citoyen, tout investisseur, tout entrepreneur, à savoir dans quelle mesure les investissements socialement responsables impactent les performances environnementales des entreprises ?
Des données enfin disponibles grâce aux réglementations européennes
D’un point de vue académique, la relation a longtemps été difficile à prouver, essentiellement pour deux raisons : le manque de données extra-financières publiées par les entreprises ainsi que le manque de transparence sur les actifs détenus en portefeuille par les fonds d’investissement. En Europe, les réglementations qui ont émergées à l’issue du Pacte Vert ont adressé ces contraintes. D’abord, SFDR, qui oblige les sociétés d’investissement à publier le contenu de leur portefeuille depuis 2021, rend possible des analyses quantitatives dans ce sens. Ensuite, CSRD, qui renforce la NFDR adoptée en 2014 pour les grandes entreprises, permettra de connaître de façon plus détaillée les performance ESG des entreprises concernées dès qu’elle sera pleinement implémentée. Ainsi, la confrontation de ces données a déjà pu donner naissance à quelques études empiriques.
Les fonds ISR sont-ils vraiment responsables ?
Cultrera, Godfroid et Heyman (2024) ont cherché à vérifier si les fonds d’investissement socialement responsables (ISR) étaient « vraiment responsables ». Les auteurs ont analysé 68 fonds ISR présents sur le marché belge, qui, bien qu’il représente 22,4 milliards d’euros en 2022 reste peu exploité par la question d’impact et semble n’avoir pas encore assis sa crédibilité puisque les investisseurs expriment encore une méfiance vis-à-vis de ce type de fonds. Leurs travaux ont porté sur la comparaison des performances extra-financières des fonds ISR à des fonds conventionnels équivalents et la comparaison entre les différentes catégories de fonds ISR (article 8 versus article 9). Afin de mesurer les performances extra-financières, les auteurs se sont basés sur les données produites par Morningstar et Factset en tenant compte d’informations telles que le score de durabilité entreprise, le risque environnemental ou l’exposition du chiffre d’affaires aux solutions à impact durable.
Les tests non paramétriques (Wilcoxon et Mann-Whitney) leur ont permis d’observer, d’une part, que les performances ESG des fonds ISR sont supérieures à celles des fonds classiques et, d’autre part, que les risques ESG sont nettement plus réduits chez les fonds ISR avec une prépondérance pour les risques Environnementaux qui sembleraient être les moins risqués par rapport aux risques de Gouvernance ou aux risques Sociaux. Quant à la comparaison entre les fonds classifiés article 8 versus article 9, les résultats ne semblent pas indiquer de différence notable. Les auteurs pointent du doigt le manque de disponibilité de données pour certains fonds et suggèrent une évolution de la réglementation SFDR pour contraindre les fonds d’investissement à communiquer davantage de données, à se soumettre à un organisme de contrôle qui validerait la classification des fonds, à augmenter progressivement leur offre ISR, et à exclure systématiquement certains secteurs d’activité telle que l’armement. Autant de préconisations que nous rejoignons, au niveau du Label ISR, telles que la nécessité d’augmenter la transparence de l’audit effectué par le biais d’un rapport d’impact par exemple. L’univers investissable pourrait davantage être contrôler notamment au niveau des instruments dérivés susceptibles de contenir des sous-jacents indésirables. Nous avons également proposé de limiter l’éligibilité aux fonds classifiés article 9 pour une meilleure crédibilité.
L'innovation environnementale, grande oubliée de l'investissement responsable
Les travaux réalisés avec Pr. Nekhili (Université du Mans) ont porté sur l’impact de l’investissement responsable sur les performances environnementales et financières des entreprises cotées (2024). Nous avons ciblé un échantillon de 21 fonds français du Label ISR (799 milliards d’encours en 2024) émis par la société d’investissement française leader sur le marché mondial Amundi (sélectionnée selon une méthodologie non probabiliste par quota) et avons confronté les performances extra-financières du top 10 des actifs détenus en portefeuille aux montants investis par chacun des fonds. Nous avons exploité les données ESG du fournisseur London Stock Exchange Group (LSEG), en retenant les notations du pilier Environnement, ainsi que ses composantes : les Emissions, les Ressources et l’Innovation. Nous avons procédé à une analyse multivariée (tests de régression linéaire simple et des tests du système de régressions apparemment non-liées), qui nous a permis d’obtenir 279 observations.
Nos résultats ont été mitigés. Les composantes Emissions et Ressources sont positivement impactées, ce qui pourrait s’expliquer par la volonté des entreprises à se conformer aux réglementations issues du Pacte Vert (2019), lui-même déployé à l’issu de l’accord de Paris (2016) ciblant la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l’amélioration de la gestion des ressources naturelles. A contrario, la composante Innovation est négligée, et ce, particulièrement chez les entreprises opérant dans des secteurs d’activités polluants tels que l’industrie chimique, le pétrole & gaz, l’aérospatial et l’armement, pour ne citer que les plus impactant. Plusieurs explications peuvent justifier ce manque d’intérêt pour l’Innovation environnementale. D’après Heinkel, Kraus et Zechner (2001), les entreprises ne transforment leur mode de production que si cela leur permet d’attirer un investissement suffisant pour couvrir les coûts liés à ces développements. Selon les auteurs, investir au minimum un quart de l’actif d’un fonds en s’appuyant sur les principes de l’ISR devrait encourager les entreprises polluantes à transformer leur modèle de production. Or, le concept d’éco-efficience de Porter et van der Linde (1995) qui consiste à réduire la pollution pour améliorer la productivité avec laquelle les ressources sont utilisées semble plus que jamais d’actualité dans la mesure où les innovations environnementales sont « autant de sources de compétitivité et de gains de productivité pour l’entreprise » (Capelle-Blancard et al., 2006). Le désintérêt pour l’Innovation environnementale est une conséquence probable de l’absence de contrainte réglementaire.
Des initiatives publiques pour dynamiser l'innovation verte
Depuis les années 2020, les pouvoirs publics se sont saisis de la problématique car il sera impossible d’atteindre les objectifs qu’ils ont fixé si des changements disruptifs ne s’opèrent pas rapidement, par tous les acteurs. Ainsi, afin de dynamiser la composante Innovation, les Nations Unies ont créé, en novembre 2021, le Climate Change Global Innovation Hub (UGIH) qui vise à « promouvoir des innovations transformatrices pour un avenir à faibles émissions et résilient face au climat ». Lors de la 29ème Conférence des Parties (Baku, Azerbaïdjan), les participants ont lancé le Global Matchmaking Platform (GMP) qui permet de suivre la décarbonisation des entreprises à forte émissions situées dans des pays en développement en les reliant à des solutions techniques et financières. A ce jour, la plateforme identifie un besoin en financement s’élevant à 125 milliards d’USD pour atteindre l’objectif de l’accord de Paris.
En Europe, le fonds pour l’innovation européenne, crée en 2020, vise à « mettre sur le marché des solutions industrielles qui décarbonent l’Europe et soutiennent sa transition vers la neutralité climatique tout en favorisant sa compétitivité » (European Investment Bank, 2025). Le fonds tire son financement des revenus récoltés sur le marché européen de négociation du carbone (EU ETS). La valorisation est estimée à 45 milliards d’euros (sur base du prix du carbone à 75 euros/tCO²) pour la période de financement 2020-2030. Chaque année le fonds sélectionne de nouveaux projets à financer. A la fin de 2023, le fonds a subventionné 104 projets pour près de 6,5 milliards d’euros dans 20 secteurs permettant d’éviter 442 millions de tonnes d’équivalent de CO² ce qui correspond à 14% des émissions de GES de l’année 2022 en Union Européenne, à titre de référence (Rapport de la Commission COM (2024) 566 final).
Plus ancien, InvestEU (2018), sous l’égide du Fonds d’Investissement Européen (EIF), est une initiative qui cible les petites et moyennes entreprises innovantes avec pour objectif de « mobiliser 372 milliards d’euros d’investissement publics et privés au moyen d’une garantie budgétaire de l’UE de 26,2 milliards d’euros », sur la période 2021-2027 (investeu.europa.eu). A fin avril 2025, le fonds a généré plus de 4 millions d’emplois, soutenu plus de 53 000 PME et libéré 95,6 milliards d’euros d’investissement soutenant la transition industrielle.
Face à l’urgence d’agir et dans la logique des priorités annoncées en juin 2024 par la Présidente de la BEI, Nadia Calviῆo, TechEU a été lancé en août 2025 pour permettre de mobiliser 250 milliards d’euros d’ici 2027 en faveur de l’innovation, notamment auprès des start-ups. C’est précisément le financement des start-ups créatrices de solutions innovantes transformant les modèles de production des entreprises polluantes qui a constitué le cœur de nos préconisations. Cette recommandation fait écho aux résultats que nous avons obtenu non seulement au niveau des performances environnementales mais également des performances financières qui se sont avérées être particulièrement négatives chez les entreprises polluantes. Nos résultats sont sans rappeler ceux de Tebini (2013) qui a réalisé une analyse empirique à partir de sociétés américaines sur la période 1991-2007 en examinant la corrélation entre performance financière et performance sociale/environnementale et indiqué que la performance Environnementale a un impact négatif sur la performance financière avec un effet plus marqué chez les entreprises les moins risquées et les moins innovantes. Néanmoins il indique que la tendance s’inverse, dans le temps, particulièrement pour les entreprises innovantes, avec un effet positif. Ce constat devrait davantage encourager les investisseurs à exiger des entreprises une stratégie plus poussée sur la question de l’Innovation Environnementale.
Références
Cultrera, L., Godfroid, C. et Heyman, M. (2024). Les fonds d’investissement socialement responsables (ISR) sont-ils vraiment responsables ? Le cas de la Belgique. Revue française de gestion, 316(3), 81-105.
Tebini, Hajer. Relation entre la performance financière et la performance sociale/environnementale : une analyse critique. Diss. Université du Québec à Montréal, 2013.
Voir la soutenance de thèse de Leïla Kamara, Dr. DBA :






