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Le DBA : plus qu’un prolongement des MBA, une nouvelle façon de penser la création de connaissances en gestion



Pierre-Jean Benghozi*

Directeur de recherche émérite, CNRS

Professeur à l'École polytechnique


*Membre de la faculté du Business Science Institute





Depuis la création des MBA à Harvard en 1908, puis Stanford en 1925, on a observé, ces dernières décennies, une démultiplication considérable de leur nombre. On les trouve désormais partout dans le monde, dans des établissements d’enseignement supérieurs très différents, publics ou privés et des centaines de milliers de diplômés MBA sont ainsi formés chaque année.


Le MBA : un succès mondial en quête de sens


Ce foisonnement montre que les programmes répondaient, malgré leur coût significatif de plusieurs dizaines de milliers d’euros, à une vraie et importante demande d’assurer des formations professionnalisantes à la gestion, à l’image de celle des médecins ou des avocats. Mais cette profusion récente s’est accompagnée, en corollaire, par une montée en puissance toute autant importante des critiques les visant dans des registres très différents, à l’image de celles portées dans un ouvrage emblématique de Henri Mintzberg [1].


Ces critiques tiennent d’abord à l’objectif de fournir rapidement une formation au management, ce qui amène les MBA à délivrer des savoirs facilement appropriables et opérationnalisables car formatés, décontextualisés, s’appuyant souvent sur des cas américains ou mondialisés. Les diplômés apparaissent ainsi souvent porteurs d’une vision stéréotypée de la gestion : court-termiste, centrée sur les KPI et donnant la priorité aux actionnaires et aux profits au détriment de la durabilité, des parties prenantes, voire de l’éthique.


Ce cadre a pu conduire aussi à une déconnexion des savoirs enseignés : déconnexion de la réalité, de la vie concrète des organisations et de ce qui fait le quotidien des managers, déconnexion des impacts réels des savoirs enseignés sur la performance des entreprises, déconnexion des enjeux et compétences d’entrepreneuriat mis en lumière par la vague technologique récente, déconnexion des connaissances les plus neuves émergeant de la recherche.


L’efficacité et le succès des MBA a toutefois permis à leurs diplômés d’accéder à des postes de responsabilité contribuant de ce fait à la structuration de bureaucraties professionnelles et d’une forme d’élitisme gestionnaire à même de répondre efficacement aux attentes des dirigeants et actionnaires plus que de réfléchir sur les objectifs même du management. Le MBA est ainsi souvent devenu un passage obligé de toute carrière ambitieuse.


Des ajustements, bien sûr, mais insuffisants


Ces critiques ont conduit les institutions en charge de ces programmes à les faire évoluer sensiblement. Tout d’abord elles ont ajusté le contenu des MBA en y intégrant, par exemple, les enjeux de développement durable ou d’inclusivité, la prise en compte des normes sociales, voire les apports du management critique. Ensuite, elles ont élargi le spectre de ces programmes en les adaptant et les ouvrant à des profils de cadres expérimentés, de managers, dans le cadre d’Executive Masters. Ces programmes Executifs visaient des cadres aux cursus de formation arrêtés trop tôt ou éprouvant le besoin de réactualiser leurs connaissances dans une économie particulièrement mouvante et évolutives.


En ciblant des managers d’expériences, ces cursus permettaient de répondre pour partie à une des critiques de fond de Mintzberg sur l’enseignement du management : on ne peut pas former des étudiants qui n’ont, du fait de leur âge, sauf de très rares exceptions, aucune référence organisationnelle ni pratique du management. Au-delà des techniques à appliquer, les savoirs de gestion leur apparaissent souvent abstraits, inutilement compliqués ou à l’inverse triviaux.


Le DBA : une alternative fondée sur l’expérience et la recherche


C’est à la lumière de ces dynamiques qu’il est intéressant de se pencher sur le développement et la montée en puissance des DBA qui s’observe actuellement. De prime abord, ce mouvement peut sembler tout à fait parallèle à celui qu’ont connu les MBA ces dernières décennies.  Le foisonnement actuel des DBA répond à un besoin qui fait écho à une vraie demande de praticiens soucieux d’enrichir ou de mettre à jour leurs parcours professionnels, tout comme de prendre du recul et de capitaliser leurs connaissances après plusieurs années d’expérience. La tentation serait grande d’y voir un simple prolongement des MBA appelant dès lors les mêmes critiques. Ces programmes relèvent d’ailleurs des mêmes institutions de certification (AMBA) qui ont vite perçu l’opportunité d’appuyer et de soutenir le développement de tels programmes.


Pour autant, il serait inexact de ne voir dans les DBA que des « super MBA » ou des « MBA premium » complétés par la rédaction d’un mémoire, voire de considérer que les MBA serait un prérequis à tout DBA. Certes, le DBA a aussi été imaginé au départ à Harvard, en 1953. Mais il s’agissait d’offrir à des managers expérimentés un parcours de formation décalqué des thèses de doctorat ou de PhD pour les amener à produire de la connaissance appliquée, en influençant les pratiques managériales par la recherche, tout en restant ancrés dans le monde professionnel. Avec les DBA, c’est donc d’un changement de paradigme dont il est question : faire passer les managers de l’acquisition à la création de connaissances.


Créer des connaissances à impact : l’ambition et l'exigence singulière du DBA


A y regarder de plus près, les DBA présentent de ce fait la particularité de répondre, d’emblée, à nombre des critiques qu’avaient essuyées les MBA.


Ils articulent d’abord, par construction, les savoirs théoriques et les savoirs pratiques des doctorants-managers. La pertinence des sujets et questions de recherche est validée d’emblée, pourrait-on dire, par le fait que ces questions sont justement celles auxquelles les managers se sont heurtés et face auxquelles ils n’ont pu trouver de réponse dans la littérature de gestion. Les parcours de DBA des doctorants-managers sont construits sur des questions managériales qui ne peuvent apparaitre qu’à travers l’expérience.


La formation par le DBA et la production d’une thèse consistent à transformer cette question managériale en problématique, à (apprendre à) y répondre, par la recherche et la rigueur méthodologique, en termes d’analyses, de connaissances à impact comme de recommandations.  Un DBA n’est donc pas une simple « thèse professionnelle » ou « de seconde zone » qui pourrait également être proposée en formation initiale : comme le souligne M. Kalika « un DBA sans expérience est une hérésie ». 


Par le souci d’approfondir une question de management par la recherche en gardant en tête l’impact et le caractère actionnable des résultats de la thèse, les DBA se connectent forcément aux connaissances les plus récentes et à des savoirs qui ne sont pas figés mais discutés et mis en perspective. D’ailleurs, il n’est pas rare de voir les thèses de DBA donner lieu à des productions et des publications (ouvrages ou articles) à l’articulation entre monde académique et professionnel.


Enfin la conduite d’un DBA ne relève pas d’une relation asymétrique entre un professeur et un étudiant, comme on l’a en général dans un enseignement de master ou dans une direction de thèse de PhD. Il s’agit au contraire d’un accompagnement de pair à pair, entre un professionnel de l’enseignement et la recherche (le directeur de thèse) et un professionnel de l’entreprise (le doctorant-manager).


En conclusion, si le MBA reste un accélérateur de carrière dans certains contextes, il souffre aujourd’hui de la banalisation de ces formations et a dû se réinventer pour répondre aux nombreuses critiques de managérialisme qu’il a essuyées. Le DBA constitue, à cet égard, une alternative intellectuellement exigeante constituant une formation « sur mesure » pour des managers soucieux de prendre du recul sur leur pratique, de savoir répondre aux enjeux managériaux qu’ils affrontent au quotidien et de produire des connaissances « à impact ».


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[1] Mintzberg H. (2004), Managers Not MBAs: A Hard Look at the Soft Practice of Managing and Management Development, San Francisco : Berrett-Koehler Publishers
[1] Mintzberg H. (2004), Managers Not MBAs: A Hard Look at the Soft Practice of Managing and Management Development, San Francisco : Berrett-Koehler Publishers

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