Christophe Fournier*
Professeur des universités, IAE of Montpellier
Montpellier Recherche Management, Université de Montpellier
President d'AUNEGe
*Membre de la faculté du Business Science Institute
(Tribune initialement publiée dans The Conversation France)
Les commerciaux souffrent trop souvent d’une image négative : menteurs, bonimenteurs, cupides, prêts à tout pour vendre et ce dans la plupart des pays du globe. C’est l’image par exemple de Michael Scott dans la série The Office, prêt à enivrer un partenaire pour le pousser à signer un contrat de vente. Ce stéréotype semble quasi mondial.
Certains diront « business is business », c’est la loi des affaires et c’est au consommateur d’être vigilant. À l’heure où les préoccupations sont croissantes sur les questions de développement durable, où l’on parle de plus en plus de responsabilité sociale des entreprises et où l’on vante les bienfaits des bilans ESG (environnements, sociaux et de gouvernance), il semble cependant légitime de se poser la question : est-il possible d’avoir une éthique de la vente et si oui, pourquoi et comment ?
Au-delà des questions de morale, il existe dans la littérature scientifique un certain consensus indiquant que les pratiques commerciales éthiques se sont toujours avérées plus rentables que celles qui ne l’étaient pas. Cela est d’autant plus vrai si l’on s’inscrit dans une optique de long terme et donc de gestion de la relation client.
Nos travaux montrent, eux, un effet bénéfique du point de vue de la main-d’œuvre : plus l’entreprise se soucie d’éthique, plus les commerciaux performants sont incités à rester. Autrement dit, un bon climat éthique est un excellent dispositif pour limiter le turnover et fidéliser les meilleurs. Étant donnés les taux de rotation qui peuvent exister dans la fonction commerciale et les difficultés de recrutement du secteur, il semble ainsi qu’investir dans le respect d’une certaine approche éthique revient pour une entreprise à faire d’une pierre deux coups.
Une fois seul, la tentation est grande
Auprès de 132 commerciaux français issus de multiples entreprises, nous nous sommes donc intéressés à la relation, mainte fois étudiée, entre la performance et le turnover des commerciaux. Même si certains travaux ne parviennent pas à mettre en évidence de relation significative entre ces deux variables, la plupart concluent à l’existence d’une relation négative : plus la performance est faible, plus le turnover est élevé.
Nos conclusions dressent un tableau un peu plus complexe. La relation entre ces deux variables semble en fait modérée par le climat éthique. Plus les commerciaux sont performants, plus ils ont tendance à vouloir quitter l’entreprise en cas de climat éthique faible. D’autant qu’ils ont, du fait de leurs résultats, une forte employabilité sur le marché du travail et que leur sont proposés de belles opportunités dans d’autres entreprises, concurrentes ou non, mais présentant un climat éthique favorable.
Les moins performants, au contraire, auront tendance à rester dans leur entreprise actuelle, car peu ils seront peu demandés sur le marché du travail. Pour atteindre une certaine performance, ils s’accommoderont en outre plus facilement d’un moindre climat éthique.
Comment néanmoins instaurer ce climat éthique qui attire les salariés les plus brillants ? En raison de la singularité du métier, la chose ne semble pas évidente de prime abord.
L’une des caractéristiques des commerciaux est, en effet, pour beaucoup d’entre eux d’avoir une double indépendance : physique, nombre d’entre eux étant sur le terrain, et surtout psychologique. Seuls face au client ou à l’acheteur, ils doivent trouver des solutions, répondre aux questions et parfois faire face aux pressions. Il est donc facile et tentant, dans certaines situations, de « s’arranger » et ainsi de s’engager dans des comportements que l’on qualifiera de peu ou pas éthiques.
Plusieurs outils simples peuvent cependant facilement être actionnés afin de favoriser l’éclosion d’un climat vertueux tels que la fixation de quotas adaptés et atteignables. Il est clairement prouvé que plus ceux-ci sont élevés, plus la tentation du vice est grande.
Attention aux incitations
Plutôt que de retenir des quotas dits de « production », et donc de vente, mieux vaut proposer des quotas sur des items de nature plus qualitative, la satisfaction client par exemple, ou des appréciations sur des comportements clés à adopter ou à maitriser durant le processus de vente. Un contrôle fort et un encadrement étroit avec des indicateurs plutôt subjectifs est préférable, d’un point de vue éthique, à un contrôle plus centré sur les résultats. L’enjeu, au-delà, c’est aussi le maintien voire le renforcement de la relation client.
Dans la même veine, les concours et autres challenges de venteslancés par un très grand nombre d’entreprises peuvent également rapidement déraper. Surtout si l’on ne prend pas garde à fixer des objectifs adaptés à une vision éthique et cohérente avec la stratégie de l’entreprise.
Est plus largement en question le package de rémunération et de motivation des commerciaux. Nombre de travaux montrent par exemple qu’il est, d’un point de vue éthique toujours, préférable de privilégier une rémunération fixe plutôt qu’une rémunération variable avec des commissions reposant notamment sur les ventes.
Gardien et garde-fous
Il faut aussi mentionner le rôle clé du dirigeant, ce dernier pouvant être à la fois l’initiateur mais également le promoteur et le gardien de l’esprit éthique de l’entreprise. Exemplaire, il montrera la voie à ses collaborateurs moins enclins dès lors à s’aventurer sur des chemins tortueux. Son attention sur ces questions semble d’ailleurs devoir porter dès le recrutement de son équipe.
Cependant, ces actions peuvent ne pas suffire. Il faut enfin évoquer la pertinence pour l’entreprise de se doter d’un code ou d’une charte éthique, élément clé pour favoriser l’émergence d’un climat positif. En quelques lignes vont être formalisées les grandes règles de comportements auxquelles pourront se référer les commerciaux en cas de doute ou d’interrogation sur certaines pratiques. Cette formalisation de l’éthique est un garde-fou important pour non pas supprimer tout comportement non éthique mais du moins les limiter.
Certes, il ne sera pas possible d’éviter à 100 % les actions déviantes de ses commerciaux, mais la mise en œuvre de quelques dispositifs simples peut être d’une grande aide. Vente et éthique, ce n’est pas un oxymore.
A lire aussi...
Les articles & ouvrages de Christophe Fournier via CAIRN
Comments