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IA, attention à la nova langue ! Préserver la friction de l’intersubjectivité

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Ancien Professeur de l'Université de Savoie Mont-Blanc

Membre de la faculté du Business Science Institute




L’essor des intelligences artificielles génératives (Le Chat,ChatGPT, Note Book Lm, Midjourney, etc.) transforme profondément nos pratiques de recherche, d’enseignement et de communication. Ces outils, par leur capacité à produire des textes, des images ou des analyses en un temps record, offrent de nouvelles opportunités : gain de temps, accès facilité à l’information, stimulation de la créativité.


Pourtant, leur utilisation massive soulève une question fondamentale :  que devient la pensée critique quand le langage lui-même est généré par des algorithmes optimisés pour la fluidité, le consensus et l’efficacité, plutôt que pour la rigueur, la nuance et la confrontation des idées ?


1. Le risque d’une « nova langue » algorithmique


Les IA génératives fonctionnent en identifiant et en reproduisant les schémas les plus fréquents dans les données sur lesquelles elles sont entraînées. Leur force réside dans leur capacité à imiter un langage « moyen », prévisible, souvent dépourvu des aspérités qui font la richesse du débat scientifique et intellectuel. Comme le rappelait George Orwell avec sa « novlangue », un langage appauvri, standardisé, est aussi un langage qui limite la pensée.


  • Uniformisation des discours  : Les études montrent que l’usage de ces outils tend à réduire la diversité lexicale et stylistique, favorisant des formulations génériques et consensuelles. Par exemple, l’analyse de millions de résumés scientifiques a révélé une homogénéisation progressive du vocabulaire et des structures de phrase après l’adoption de l’IA, au détriment des expressions originales ou des nuances conceptuelles.

  • Illusion de la neutralité  : Les IA ne sont pas neutres. Elles reproduisent – et parfois amplifient – les biais présents dans leurs données d’entraînement, tout en donnant l’illusion d’une objectivité mécanique. Le texte résultant, lissé et optimisé, peut masquer les contradictions, les controverses ou les angles morts qui sont pourtant au cœur de la démarche scientifique.

  • Désengagement critique  : La facilité avec laquelle ces outils produisent des textes « acceptables » risque de nous habituer à un langage sans friction, où les idées complexes ou subversives sont édulcorées, où les désaccords sont gommés au profit d’un discours lisse et inoffensif.


Nova langue


Langue artificielle créée par le régime totalitaire d’Océania dans 1984 (George Orwell, 1949), conçue pour réduire la pensée critique en limitant le vocabulaire et en supprimant les nuances. Son but est de rendre impossible l’expression d’idées subversives (comme "liberté" ou "révolte") en :


-Simplifiant la grammaire et le lexique (ex. : "mauvais" devient "non-bon").

-Inversant le sens des mots (ex. : "Guerre = Paix", "Ignorance = Force")

-Élimant les mots liés à la rébellion (ex. : "démocratie" n’existe pas).


Orwell invente la novlangue pour illustrer comment un pouvoir totalitaire peut contrôler les esprits en contrôlant le langage. Inspiré par les propagandes nazie et stalinienne, il montre que rétrécir le langage, c’est rétrécir la pensée.


« La novlangue d’Orwell était une fiction dystopique où le pouvoir utilisait le langage pour restreindre la pensée ; les IA génératives, elles, risquent de le faire sans même en avoir l’intention, en réduisant nos mots à des probabilités et nos idées à des algorithmes. »



2. La friction de l’intersubjectivité : un enjeu à préserver


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La recherche et l’enseignement reposent sur l’échange, la confrontation, la remise en question. Cette friction de l’intersubjectivité permet la construction du sens, la remise en question des certitudes et l’émergence d’une pensée critique. Loin d’être un obstacle, elle est le moteur de la compréhension mutuelle, de l’apprentissage et de la transformation des idées (inspiré par Habermas, Bakhtine, Piaget, et Heidegger). Elle se manifeste dans les débats, les malentendus, ou les confrontations de points de vue, et révèle la dimension vivante et dialectique du langage et de la pensée.


  • Elle permet de tester la solidité des arguments, d’affiner les hypothèses, de faire émerger des idées nouvelles.

  • Elle oblige à clarifier sa pensée, à justifier ses choix, à accepter le conflit comme moteur de progrès.

  • Elle est au fondement même de l’éthique scientifique, qui exige transparence, débat et controverse.


Au risque de s’isoler dans un dialogue solitaire avec la machine, l’utilisation non critique des IA génératives menace cet équilibre. En effet en déléguant une partie de notre expression aux algorithme, nous risquons de perdre ce qui fait la valeur de notre métier :  la capacité à échanger, à dialoguer, à problématiser, à douter, et à confronter les points de vue .


3. Recommandations pour une utilisation responsable


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Pour éviter de glisser vers une « nova langue » algorithmique, voici quelques pistes à explorer, individuellement et collectivement.


Utiliser l’IA comme un outil, pas comme un auteur :


  • Réserver son usage à des tâches secondaires (reformulation, synthèse bibliographique, génération d’idées brutes), et toujours lire, réécrire, critiquer et enrichir les textes produits.

  • Exiger des étudiants qu’ils justifient et discutent les contenus générés par IA, plutôt que de les reprendre tels quels


Préserver les espaces de débat non médiatisés  :


  • Maintenir des temps de discussion en présentiel ou en visioconférence, sans recours systématique à l’IA pour préparer ou résumer les échanges.

  • Encourager les formats pédagogiques qui favorisent l’oralité, l’improvisation et la controverse (débats, ateliers d’écriture collective, expression critique).


Former à l’esprit critique face à l’IA  :


  • Au-delà de l’art du prompt développer la littératie de l’IA

  • Intégrer dans les cursus des modules sur les biais algorithmiques, les limites des modèles de langage, et les enjeux éthiques de leur usage.

  • Au-delà de la vérification des faits (hallucintion) apprendre aux étudiants à repérer les marqueurs d’un texte « trop lisse » (manque de sources précises, absence de contradictions, style générique) ou trop superficiel ou flatteur.


Documenter et problématiser l’usage de l’IA  :


  • Dans les publications, mentionner explicitement l’usage d’outils génératifs et expliquer en quoi ils ont été utiles, ou limitants.

  • Dans les évaluations, valoriser la capacité à  dépasser  ce que propose l’IA, plutôt qu’à s’y conformer.


Cultiver les pratiques qui résistent à l’uniformisation  :


  • Privilégier les méthodes qualitatives (entretiens, observations, verbatim) qui ancrent la recherche dans le réel et ses contradictions.

  • Apprendre à mobiliser les expériences personnelles et leur singularité.

  • Encourager l’écriture manuelle, même imparfaite, comme exercice de pensée.


4. Conclusion : l’IA au service de la pensée, pas l’inverse


Les intelligences artificielles sont des auxiliaires puissants, mais elles ne doivent pas devenir les arbitres de notre langage ni de notre pensée. Notre rôle, en tant qu’enseignants-chercheurs, est de  former des esprits capables de résister à la tentation de la facilité algorithmique  – des esprits qui savent douter, discuter, et assumer la complexité du monde.


Comme le disait Hannah Arendt,  « la pensée elle-même est une forme de dialogue » . Ne laissons pas les machines réduire ce dialogue à un monologue optimisé. « La langue est la maison de l’être », disait Heidegger. Veillons à ce que cette maison reste un lieu de vie, et non un catalogue de formules préfabriquées



Pour aller plus loin  :


  • Orwell, G. (1949). 1984. Gallimard. (Sur les dangers de la novlangue.)

  • Habermas, J. (1981). Théorie de l’agir communicationnel. Fayard. (Sur l’importance de l’intersubjectivité.)

  • Étude sur l’impact de l’IA générative sur le langage scientifique : Forbes, 2025


(Article rédigé avec le Chat de Mistral, prompté et révisé par Jean MoscarolaNovembre 2025)



Interview de Jean Moscarola durant le séminaire impact du Business Science Institute




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